Les entreprises peuvent-elles encore supporter des innovations sociales ?

L'innovation est, en général, synonyme de progrès et recueille les suffrages de la plupart des entreprises. Mais il est une famille d'innovation, qui stresse de plus en plus les dirigeants d'entreprise. C'est l'innovation sociale. Autant, en période de croissance, l'impact lié aux innovations sociales peut être absorbé par la plupart des entreprises, autant en période de crise, la tâche est plus difficile et parfois même impossible. Gérer une entreprise n'a jamais été chose aisée et tout ce qui tend à la rendre plus difficile n'a jamais rendu les patrons ou dirigeants fous de joie. Rares sont donc les patrons qui devancent ou provoquent les progrès sociaux. Maintenir à flots une entreprise et lui permettre de se développer est déjà suffisament difficile.

Mais dans un contexte de crise qui durent depuis 6 ans et qui risque de durer encore autant, tout ce qui se traduit par un allègement des coûts est de nature à provoquer la disparition de quelques centaines d'entreprises supplémentaires.

Le problème est que de nombreux gouvernements cèdent sous la pression de syndicalistes qui réclament toujours plus d'avantage pour les salariés et acceptent de moins en moins d'obligation.

L'année 2002 n'est pas restée dans les annales pour ses avancées sociales et pourtant, l'entrée en vigueur d'un avantage clé pour les salariés, qui s'est traduit par une augmentation de 11 % du coût de l'heure travaillée pour les petites entreprises : la généralisation des 35 heures aux PME. Peu d'économistes se sont livrés à un rapprochement politiquement incorrect entre d'une part, la réduction du temps de travail de 4h, soit 11 %, à salaire égal, c'est à dire à une augmentation effective du coût horaire de 11 %, du jour au lendemain et d'autre part, l'érosion entre 2002 et 2012, du taux de marge des entreprises françaises de 10 %. La moitié de cette érosion a eu lieu entre 2001 et 2003, l'autre moitié a été une conséquence de la crise de 2008 qui s'est reflétée dans les comptes des entreprises à partir de 2009.

Les politiciens s'étaient pourtant livrés à des calculs savants : le passage aux 35 heures devait créer des millions d'emploi et le travail allait être mieux partagé. Le problème est que lorsque l'on demande à des entreprises qui réalisent de petits bénéfices de partager le travail sans partager les revenus, ces dernières ne peuvent faire de miracles : elles essaient de limiter les dégâts liés à la réduction du temps de travail, mais n'ont pas l'argent pour embaucher. Dans la vie réelle, le passage aux 35 heures non seulement n'a pas créé d'emploi, mais il a eu de nombreux effets néfastes
- une dimunition de la rémunération effective des dirigeants de dizaines de millier de PME qui avaient un peu de marge (la rémunération du patron)
- une diminution de leurs investissements en raison d'une diminution de leurs résultats
- la faillite de dizaines de milliers de petites entreprises qui n'avaient pas du tout de marge de manœuvre (n'investissant rien depuis des années et le patron se rémunérant au SMIC, des milliers d'entreprise n'ont pu survivre).
- la faillite à plus long terme de grandes entreprises qui ont grignoté, petit à petit, le trésor patiemment accumulé au cours des 10 ou 20 années précédentes.

Est-ce pour autant que les 35 heures sont une abérration au regard de l'histoire ? Non, pas du tout, elles ont simplement été introduite de la mauvaise manière et au mauvais moment.

De la mauvaise manière

Réduire le temps de travail sans réduire les revenus est un principe idéologique abstrait. A un instant donné, soit il y a de l'argent pour augmenter les effectifs de 10 % pour compenser la réduction de 10 % du temps de travail des salariés déjà employés, soit l'argent n'est pas là. Et malheureusement pour la plupart des entreprises, l'argent n'était pas là. De nombreuses entreprises ont au contraire du licencier en raison de problème de rentabilité lié à ce renchérissement du coût du travail. Si l'introduction des 35 heures s'était accompagnée d'une réduction des charges sociales au prorata des emplois créés afin de compenser les surcoûts, non seulement l'impact sur les entreprises aurait été neutre, mais en plus, les salariés auraient gagné et l'opération aurait été neutre pour le Pôle emploi de l'époque (récupérant moins de cotisations sociales, mais ayant moins de chomeurs à indemniser également).

Au mauvais moment

Les avancées sociales digérables par l'économie ont toutes eu lieu en période de forte croissance et dans des contextes de gains de productivité lié à la technologie très importants. Avec des gains de productivité et une économie sous perfusion des déficits publics depuis 30 ans, tous les avantages sociaux pour ceux qui travaillent encore se traduisent désormais par des destructions d'emploi.

Est-ce à dire qu'il n'y a plus de place pour l'innovation sociale ? Au contraire, les nombreux blogs qui traitent de l'innovation sociale et de la responsabilité sociale des entreprises regorgent de pistes intéressantes à explorer. Mais pour que l'innovation sociale ne se fassent pas au détriment des 5 millions de chomeurs qui désespérent, il faut qu'elle soit mesurée et que son coût soit financé. Par exemple, en reportant le coût en partie sur l'ensemble des salariés et plus simplement sur les entreprises, ou en offrant des contreparties aux entreprises, sous forme d'allégement d'obligations afin qu'elles maintiennent leur rentabilité et puisse continuer à investir.